mardi 15 juillet 2008

Breveter le vivant ?


Le Docteur Tewolde Berhan Gebre Egziabher est un universitaire de Addis Abéba, Doyen de la Faculté des Sciences, et responsable de l’Herbarium national d’Éthiopie. Il a été négociateur représentant l’Ethiopie lors de plusieurs forums sur la biodiversité et la biosécurité.
http://vecam.org/article1037.html

Alors quels sont les revendications que l’on peut déposer pour avoir inventé la vie ?
Le fait de trouver des spécificités individuelles inconnues jusqu’ici fait partie des technologies brevetables dans certains pays. « Inconnu » se réfère ici au monde « moderne », ces propriétés pouvant par ailleurs être déjà connues des communautés indigènes. Visiblement ces pays acceptent la « découverte » comme une « invention ».
Le fait de déterminer la séquence d’acides nucléiques d’un gène est également considéré comme brevetable. Que la séquence d’acides nucléiques soit connue de tous ou de - chacun ou de personne ne changera pas la moindre chose aux caractères spécifiques de l’organisme en question. Ce genre de séquençage est donc simplement une découverte. Cela ne devrait pas être brevetable.
Dans tous les cas, un grand nombre de gènes sont identiques par delà la diversité des espèces. Un gène donné est donc le même pour de nombreuses espèces. Si je détermine la séquence d’acides nucléiques d’un gène d’une bactérie et la brevète pour ça, que se passera-t-il si quelqu’un d’autre détermine la séquence d’acides nucléiques du même gène issu d’un arbre ? Lequel des deux brevets protègera le gène ? Si je devais déterminer la séquence d’acides nucléiques du même gène pour deux espèces différentes, devrais-je déposer deux brevets pour le même gène ? Ou bien le premier brevet empêchera-t-il le dépôt de brevets supplémentaires ?
Et même en supposant que j’ai séquencé un gène d’une bactérie qui n’a été séquencé dans aucune autre espèce, cela le rend-il unique ? Non. Parce que pour affirmer ça, il faut que toutes les autres formes de vies soient examinées, et que les données soient à ma disposition. Jusqu’ici, les scientifiques connaissent toutes les séquences d’acides nucléiques pour la bacterie Escherischia coli. Le séquençage du riz semble aussi en bonne voie, et on avance à grand pas dans la connaissance du génome humain. Toutefois, les estimations du nombre d’espèces de la biosphère varient de 10 à 60 millions. Sera-t-on jamais certain qu’un gène est unique ?
Quand un gène spécifique (une séquence d’acides nucléiques) est introduit dans un organisme, celui-ci peut être - exprimé (c’est-à-dire conduire à un trait spécifique dans l’organisme receveur). Mais si ce gène existe aussi dans un autre organisme, il est probable que son expression ait déjà pu conduire dans celui-ci à l’existence de ce même trait spécifique. Évidemment, la technique qu’utilise celui qui sait introduire un gène dans un autre organisme mérite d’être protégée. L’invention de la technique doit être brevetable, mais ni le gène qui est introduit, ni le trait qui est exprimé ne sont des inventions et de ce fait ne peuvent être brevetés.
Mais évidemment, l’effort nécessaire pour déposer un brevet ne peut être rentable que si la technique est employée souvent, comme par exemple le canon à gènes, qui peut fonctionner avec différents gènes et différentes cibles. Si la technique n’est utile que pour un cas particulier, personne ne se préoccupera de la breveter.
L’expression d’un gène introduit dans un organisme ne se réalise pas toujours comme prédit a priori. Son expression dans l’organisme où il a été introduit peut s’avérer différente de celle de l’organisme dans lequel il a été pris. Peut- on alors breveter ? En d’autres mots, s’agit-il d’une découverte ou d’une invention ? Je maintiens que cela doit être considéré comme une découverte.
Une comparaison avec le comportement de l’eau nous aidera à clarifier ce point. L’eau, comme toutes les substances, réduit de volume en refroidissant. Cependant, quand elle se transforme en glace, elle augmente de volume brusquement. C’est pourquoi une bouteille de vin oubliée dans le congélateur explose. Peut-on dire que, puisque l’eau se comporte différemment à la température de la pièce ou - quand on la congèle, elle est dans un « état naturel » dans le premier cas et que nous avons « inventé » un second état pour l’eau congelée ? Évidement non. En congelant l’eau, nous avons simplement découvert une propriété différente de l’eau.
De la même façon, le fait qu’un gène donné, dans un environnement cellulaire d’un certain type d’organisme, se comporte différemment que dans les cellules d’un autre type d’organisme ne fait pas de ce comportement une « invention », mais simplement la découverte d’une propriété complémentaire. De surcroît, que le gène s’exprime différemment de ce qui avait été attendu a priori démontre simplement une faiblesse dans la prédiction, pas une invention. Je ne pense pas que le système des brevets ait été fait pour récompenser les faiblesses.
Conclusion
Il me semble que la société connaît très bien la distinction entre l’invention et la découverte. Seul l’appât du gain conduit des personnes à distordre cette distinction pour monopoliser des découvertes en les nommant inventions.
Mais les découvertes doivent aussi mériter reconnaissance. Un système permettant une telle reconnaissance doit être mis en place. Cependant, distordre le sens du brevetage pour le faire s’appliquer au vivant ne peut produire qu’un rejet de tout le système. Qui se préoccupait de la légitimité des brevets avant les années quatre-vingt-dix ? Mais maintenant une opposition grandit continuellement. Une opposition qui met en cause non seulement à la légitimité du brevetage, mais aussi à sa légalité.
Tewolde Berhan Gebre Egziabher
Posté le 16 avril 2008

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